Muses 1900

06 juin 2016

Art | History

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Walter Spindler – Sarah Bernhardt en Lorenzaccio

De 1900 la culture populaire ne paraît n’avoir retenu que Sarah Bernhardt, ce qui est somme toute bien compréhensible, tant la tragédienne aux mille costumes occupa une place prééminente, si ce n’est quasi absolue, dans la vie culturelle des années 1890 à 1910, des « mauves nineties » du symbolisme outré aux doux flonflons de la Belle Epoque. A vrai dire, Sarah Bernhardt est un peu la Léa Seydoux de son temps, un personnage de caricature que l’on se plait à moquer, qui agace par son omniprésence et son ambition folle qui se conjugue en triomphes mondiaux comme en échecs risibles. Pourtant l’ère est riche en figures féminines excentriques, tantôt tragiques, tantôt fatales, qui émaillent le Paris de Maxim’s de leurs outrages « artistiques ». Petit tour de ces héroïnes injustement oubliées.

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Article rédigé pour le magazine du site Auction After Sale (qui s’attache à donner une seconde vie à des très beaux objets anciens n’ayant pas trouvé d’acquéreur lors de ventes aux enchères), à retrouver ici avec une sélection de pièces 1900, qui vaut le coup d’oeil !

AB'sPortrait

Alice Pike Barney – Renée Vivien

De Renée Vivien il n’existe que peu de portraits, dont ce fade témoignage d’un pastel d’Alice Pike Barney, peintre dont la fille fut l’amour ainsi que la ruine de celle que l’on surnommait la Dame aux Violettes. Anglaise de naissance, Pauline Tarn qui se cachait sous le pseudonyme de Renée Vivien, vint comme tant de jeunes filles fortunées rencontrer à Paris la vie d’artiste. Eprise depuis sa plus tendre jeunesse du culte de Sapho, elle s’en fit la réincarnation 1900, poétesse langoureuse chantant la beauté de lys de jeunes filles en fleurs. Mais à la manière de son alter égo littéraire, cette muse funèbre ne se nourrissait que l’âme, car Renée était furieusement anorexique, et rien ne pénétrait dans son corps si ce n’est ces boissons hautement alcoolisées dont elle s’étourdissait. Jusqu’à sa mort si précoce -et pourtant attendue avec impatience par cette reine de la mélancolie- Renée vécut dans un monde de symbolisme outré, un empire de bouddhas et de lourds encens avec cette absence si bien décrite par Colette dans le Pur et l’Impur, « son long corps sans épaisseur (…), elle allait frappée d’une gaucherie angélique et perdait en marchant ses gants, son mouchoir, son ombrelle, son écharpe… ».

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Edward Burne-Jones – La Baronne Deslandes

Que reste-il de la Baronne Madeleine -alias Else- Deslandes ? Rien, pas même une photographie, si ce n’est cette huile de Burne-Jones, dont les mauvaises langues contemporaines moquèrent l’absence de ressemblance. La baronne fut cependant la plus anglaise de nos égéries fin-de-siècle, le chantre du pré-raphaélisme dans la capitale française, proche de Wilde et de Burne-Jones, elle fut aimé des grands hommes, de Barrès à Bataille en passant par D’Annunzio. En somme, Madeleine était pour les poètes ce que les groupies étaient pour les musiciens des années 60, la chair en moins bien puisque la belle qui se voulait licorne était atteinte de cet angélisme alors en vogue : « Comme vous êtes beau ! Mais comme vous seriez plus beau…sans cette chose ! ». Dans son appartement qu’elle surnommait le fairy-land, notre fée présentait à ses invités une licorne en bois, un crapaud en bronze qui s’appelait Benoît, et un couple de biches en marbre qui devinrent par un hasard du destin bien plus célèbres que leur infortunée propriétaire, puisqu’elles se retrouvèrent chez la Marquise Casati, avant de prendre racine dans l’appartement de Mademoiselle Chanel.

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Antoon Van Welie – Geneviève Lanthelme

Après tant de langueurs séraphiques, une visite dans le domaine des passions terrestres semble la bienvenue. Qui plus que Geneviève Lanthelme aura symbolisé pour le 1900 mondain de Sem et Forain la femme fatale aux yeux de velours, l’idole de chair et de stupre ? Comme la plupart de ses consoeurs, Geneviève est une actrice doublée d’une demi-mondaine, boue dont elle s’extraira bien vite en mettant le grappin sur le magnat Edwards, le Citizen Kane de l’époque, qu’elle ira voler à la douce Misia, la mécène des Ballets Russes. Vamp avant l’heure, Geneviève est une cocaïnomane doublée d’une érotomane, que son riche époux couvre de bijoux et fourrures en échange de faveurs coprophiles, et dont elle se pare avec une élégance recherchée lorsqu’elle ne les déchire pas dans un accès de furie. Hélas, les frasques de La Lanthelme ne connurent pas la première guerre, puisqu’elle devait mourir noyée dans de mystérieuses circonstances, à bord du yacht l’Aimée qu’Edwards avait offert à Misia. Ironie du sort, sa tombe fut pillée, son linceul pris feu et la belle fut à nouveau noyée par la police…C’est ce qui s’appelle boire la tasse !

Jacques Emile Blanche 1911

Jacques-Emile Blanche – Ida Rubinstein en Schéhérazade

Si Geneviève Lanthelme -comme toute élégante des années 10- affecte de poser dans des parures de perles et de plumes aux couleurs vives de l’Orient, la véritable égérie des Ballets Russes c’est Ida Rubinstein, que le monde entier, c’est-à-dire Paris, découvre pour la première fois sur la scène du Châtelet dans le rôle-titre de Cléopâtre, lorsque tel un long et maigre serpent son corps à demi-nu surgi d’un tapis et du génie de Diaghilev. Émancipée et immensément riche, Ida la morphinée était venue à Paris vivre avec splendeur la vie de bohème, et comme Bakst et Poiret avaient mis les opulentes rêveries orientalistes à la mode, c’est en sultane qu’elle conquit d’abord la capitale, éclaboussant les mondains aux gants beurre frais de ses exotiques excentricités. Son corps d’une maigreur spectaculaire inspira peintres et chorégraphes, poètes et couturiers, elle se fit Shéhérazade, Salomé, mais aussi saint Sébastien. Ida, c’était la marquise Casati avant l’heure.

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From Paris with Love,

Louise


20 commentaires



  1. gelatoallimone dit :

    Oh oh, j’ai beau connaitre ces dames, j’avoue que j’apprends des détails…Surprenants! Bravo!

  2. Shanti dit :

    Écrit avec beaucoup de style, comme à ton habitude! Je viens de lire la géniale bio d’Helena Rubinstein, par Michèle Fitoussi, et il est beaucoup question de cocottes et de it-girls de l’époque, notamment Misia Sert. J’adore tes articles historiques!

  3. gelatoallimone dit :

    Dans le genre scandaleux, tu connais certainement la mignonne Evelyn Nesbit, « l’Eve américaine », modèle dès son très, très jeune âge, puis tant photographiée qu’elle devint un des premiers top-models (vers 14 ans), remarquée par un magnat qui aimait regarder les fillettes sur des balançoires de velours rouge…épousant un milliardaire et se retrouvant l’enjeu d’un crime passionnel!
    Une bio ‘American Eve » et récemment une BD lui ont été consacrées, ainsi que deux films (« Ragtime » et « la Fille sur la balançoire de velours »
    )
    http://www.actuabd.com/Nathalie-Ferlut-Eve-sur-la

    • Louise dit :

      Oui bien sûr je connais bien ce personnage ! D’ailleurs j’aimerais voir ce film un jour, celui des années 50 avec Joan Collins d’ailleurs je crois !

  4. Jenna dit :

    Oh I love this. I’ve always admired how you combine fashion and art history on your blog. I am graduating on Saturday with a degree in art history and I can’t wait to do more of that!

    xx
    scarlettandgiselle.blogspot.com

  5. Matoushi dit :

    Encore ! Encore !

  6. Poppy dit :

    J’adore quand tu nous raconte des petits bouts d’Histoire *____* Encoooooore :D

  7. Elodie Rousset dit :

    Tes articles historiques parviennent à récréer toute une époque, une atmosphère, c’est un vrai régal de te lire. Merci!

  8. Maëlle B. F. dit :

    Tombée par hasard sur votre blog, je découvre avec beaucoup d’intérêt vos articles ! Je vais donc continuer mes lectures et vous mettre en favori pour venir vous lire de temps en temps :) (j’ai adoré les articles sur Casque d’or)

    • Louise dit :

      Merci beaucoup Maëlle, ca me fait super plaisir car j’avais adoré écrire cet article sur Casque d’Or, merci merci merci de l’avoir lu <3

  9. Célia dit :

    Merci pour cet article j’aime beaucoup !!:)
    Merci pour ces découvertes, je ne connaissais pas du tout ces femmes, ah elles ont du avoir des vies passionnantes !
    Je chercherai plus d’informations sur elles, mais merci pour cette introduction Louise. ;)

  10. Audrey L dit :

    Merci beaucoup Louise pour ce bel article. Je suis passionnée par l’histoire de ces femmes et j’en ai encore appris aujourd’hui;-)
    Cela fait des années que je te suis mais c’est la première fois que je laisse un commentaire. Tu as toujours eu cette très belle plume, continue de nous enchanter!

  11. Anna Keat dit :

    Coucou Louise, merci pour ce nouvel article ! Y en avait-il au monis une qui n’etait pas passee par la case drogue ?

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