Pictures by Juliette Guenon
Au tournant du 20ème siècle, parallèlement au courant symboliste et au renouveau du catholicisme flamboyant qui prirent d’assaut les cercles intellectuels, l’occultisme connut un nouvel essor, et des pratiques de sorcellerie que le siècle des Lumières avait crues enterrées réapparurent un peu partout en France. «On ne parl(ait) plus que d’envoûtement, que de magie noire, nous (étions) revenus en plein Moyen-Age» disait Huysmans, et en effet, «l’âge de la machine à vapeur (fut) aussi l’âge des ectoplasmes (…) son siècle dit positiviste est plus que jamais féru de sciences maudites»2. C’est pour réagir contre la laideur de l’industrialisation que sorciers et sorcières sortirent à nouveau leurs chaudrons, et se rapprochèrent de la nature. On se mit à invoquer les esprits, à scruter le ciel et invoquer des divinités chtoniennes depuis longtemps oubliées. Ça n’était encore que le début, car bientôt, mages, prêtres et hommes de lettres commencèrent à se livrer une guerre sans merci où s’entrecroisaient envoûtements, échanges de liens fluidiques et féroces conjurations. Si elle fut endémique, cette bataille de l’air n’en resta pas moins inoffensive, et fit plus de victimes rêvées que réelles. Joris-Karl Huysmans, Joséphin Péladan, Stanislas de La Guaïta, ou encore Edouard Dubus qui fut retrouvé mort dans des latrines parisiennes, il n’y eût pas un écrivain qui ne se soit cru à un moment menacé par d’intangibles forces démoniaques. Il faut dire que la plupart de ces esprits torturés étaient morphinomanes, en particulier Guaïta qui en abusa jusqu’à trépas. Les hommes avaient le magisme, les femmes elles, se réapproprièrent la sorcellerie qui depuis la publication en 1862 du manifeste protoféministe de Jules Michelet, La Sorcière, était perçue comme un acte de rébellion contre la société patriarcale. Sans mari et sans enfants, les sorcières 1890 étaient des femmes libres, à l’instar de Berthe de Courrière qui en incarnait la figure type :
«Kabbaliste et occultiste, instruite en l’histoire des religions et des philosophies asiatiques, attirée par le charme des symboles, fascinée par le voile d’Isis (…) théurgiste et pourtant catholique, et encore artiste passionnée, fervente de Glück et de Vigny, de Beethoven et de Villiers, de Goethe, de Wagner et d’Ibsen, Madame B. de Courrière a trop peu écrit pour vouloir, sans doute, être jugée comme écrivain; mais ce peu, (…) affirme une âme à qui le Mystère a parlé, -et n’a pas parlé en vain»3.
Cette dernière eut sur l’ensemble de ce mouvement une influence considérable, ayant inspiré Huysmans pour La-Bas, le livre choc qu’il écrivit sur ces cercles sibyllins, dont elle lui avait offert les clés. Sans son aide, ce romancier en mal d’imagination n’aurait jamais pu écrire un tel voyage dans les profondeurs du satanisme parisien, bien qu’il ne lui en donna pas le crédit. Qu’importe, car Berthe de Courrière, qui disait avoir beaucoup lu Machiavel, se plaisait à jouer les éminences grises. Dans le roman, on la retrouve sous certains traits de la sulfureuse Madame de Chantelouve, et à Paris, ce personnage donna naissance à une véritable mode, et une «épidémie»1 de satanisme s’empara de la capitale : «il y eut affluence de Madame de Chantelouve sur le marché», et dans les cabarets de Pigalle «il n’y (eût) pas (…) un petit modèle aux yeux agrandis de morphine ou d’éther (qui) ne se dressât, pour s’écrier: «Son héroïne, c’est moi!»1. Mais l’époque était cruelle pour les femmes qui se risquaient à voler aux hommes le feu sacré de la connaissance, et, les années passant, Berthe de Courrière se changea pour ses cruels contemporains en une affreuse sorcière à peignoir ouvert, et fut moquée pour ce qui autrefois avait été chez elle célébré. C’est ainsi qu’elle devint la « vieille dame ». Et si de nos jours son nom ne figure même pas sur la tombe qu’elle partage avec les deux grands amours de sa vie, le sculpteur Auguste Clésinger et l’écrivain Remy de Gourmont, dont elle a surveillé et stimulé les carrières respectives, c’est pour elle seule que se déplacent chaque année des poignées de curieux. Sa tombe dit-on, servirait depuis des dizaines années de lieu de culte pour des rites sataniques. En 1875, Clésinger l’immortalisait en Marianne, et aujourd’hui encore, son buste majestueux trône au dessus de la salle du Sénat. Haut perchée, elle surveille l’assemblee de « Là-bas ». Savent-ils seulement ces messieurs, que cette Marianne-là était une sorcière ?
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1Lettre de Joris-Karl Huysmans à Odilon Redon, 1893, in Là-bas, édition de 1978, op.cit.
2Yves Hersant, préface de Là-bas, édition de 1985.
3Remy de Gourmont, Portraits du prochain siècle in Berthe de Courrière, op.cit.
1 Jean Lorrain, Pélléastres, éditions Albert Méricant, 1910.
2Ibid
Dress : Boden / Turban : Brothers & Sisters / Jewels : Anna Rivka
Shirt : Storets / Beret : Laulhere
Dress and turban : Sister Jane / Shoes : Jonak
Cape : from Venice
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From Paris with Love,
Louise
Splendides photos, Louise, ce violet et ce rouge, ce turban, ce velours….Vous êtes très belle!
J’aime beaucoup le clin d’œil à l’Étoile….
Encore de belles découvertes dans ces écrits. Pauvre Berthe de Courrière moquée pour ce qui fut autrefois célébré chez elle, et en plus la « vieille dame », déjà vu comme un reproche, où est le respect dû à la sagesse, sans doute, mais j’extrapole peut-être, parce que son « pouvoir » n’était pas celui de l’Impératrice ou de la Papesse, ou en tout cas jugé par un cercle plus enclin aux plaisirs terre à terre? Je ne la connaissais pas, je m’interroge juste!
Quant à cette envie partagée d’être la sorcière en rébellion au pouvoir patriarcal, elle semble s’être souvent manifestée et on le comprend parfaitement.
J’espère que ce message va apparaître cette fois-ci sans que je sois obligée de me répéter :)
Merci pour cette belle découverte! Ton article est intéressant et intrigant!
Merci !
Merci pour cette leçon d’histoire !
Le béret est superbe !