Albert Matignon, les Morphinées
Je n’avais pas encore pris le temps de rédiger les portraits détaillés des héroïnes de mon livre, c’est désormais chose faite. A vrai dire, je préfère même ceux-là aux originaux, il faut croire que l’on est jamais satisfait de soi-même…
Il vient d’être réédité, et vous pourrez le trouver bientôt en librairie, ainsi qu’ici (ou ici, mais bon…) en attendant.
-Pauvre Ginette !-
Si de nos jours tout le monde se souvient du nom Sarah Bernhardt, personne, en revanche, ne se rappelle de celui Geneviève Lantelme, qui fut pourtant l’une des plus célèbres actrices de son temps. Belle, tapageuse, colérique, outrageusement maquillée, accro à la drogue et aux aventures amoureuses, qu’elle choisissait sans distinction aucune, parmi les deux sexes, Geneviève -alias Ginette, pour les intimes-, fut une véritable diva, du genre à taillader des fourrures ou à casser des chaises sur le dos des importuns. Née pour vivre dans le luxe, elle s’y vautra grâce à son mariage avec le magnat de la presse Alfred Edwards, chipé au passage à l’égérie Misia Sert, et qui était l’homme le plus riche de Paris certes, mais aussi le plus grossier: il fallait bien faire quelques sacrifices. Son existence, hélas, n’en fut pas plus heureuse, et la pauvre Ginette devait même en mourir, puisqu’elle se noya deux ans plus tard au cours d’une croisière sur le Rhin, jetée par dessus bord par son mari selon la presse, en réalité tombée par accident. Outre cette fin sensationnelle, elle devait également connaître un curieux destin posthume lorsque, quelques mois après son enterrement, sa tombe fut pillée et son cercueil violé par des malfaiteurs, venus dérober la montagne de bijoux sous laquelle les journaux avaient clamé que l’involontaire Ophélie se serait faite ensevelir, et qui s’avéra n’être qu’une poignée de bricoles sentimentales, sans grande valeur. Dépêchée sur place afin de constater du méfait, la police, qui avait trouvé l’odeur du caveau irrespirable, avait eut l’idée de faire craquer quelques allumettes, ce qui avait mit le feu au linceul. Il avait alors fallu appeler les pompiers, et voilà comment Geneviève Lantelme fut noyée…une seconde fois.
– Itinéraire d’une Muse Malmenée-
Compagne et muse malmenée de Joséphin Péladan, amie de Jules Barbey d’Aurevilly et amante de Léon Bloy et de Joris-Karl Huysmans, Henriette Maillat fut une épistolière de génie, une écrivaine qui aurait pu être d’exception mais que l’histoire n’a retenue, hélas, que pour ses entreprises de séduction envers la crème des écrivains catholiques de la fin-de-siècle. Profondément misogyne, ce milieu ne pouvait concevoir qu’une femme puisse être dotée d’un don de création autre que celui de l’imitation, et ainsi Henriette, qui visiblement ne se suffisait pas à sa vocation naturelle de «divine gouge et de lamentable pompoir», fut inévitablement assimilée à une «toquée», un «crampon», une «folle», image qui perdure encore de nos jours. Excessive, il est certain qu’Henriette l’était, elle en était fière même, mais elle avait souffert aussi: d’un mariage sans amour, d’une maternité forcée, du suicide de son époux, ainsi que d’une pathologie psychique qui s’apparenterait à ce que l’on nomme aujourd’hui le Trouble Borderline de la Personnalité. Alors, pour conjurer elle écrivait, des lettres monstrueuses, à l’encre phosphorées, bardées d’hyperboles et qui partout criaient la douleur, ainsi que son versant, le divin plaisir que l’on peut en tirer. Elle attendait trop de la vie, Henriette, son compagnon Péladan le lui d’ailleurs avait dit, avant de la lâcher misérablement une fois la reconnaissance et la célébrité pour lui atteintes, et ce au mépris des cinq années qu’elle passa à l’entretenir. Dès lors, elle vécut dans la misère, abandonnée de tous et avec pour seul ressort le pathos dont elle continuait à noircir le papier. Nul ne sait ce qu’il advint d’elle, puisque son acte de décès reste à ce jour introuvable, mais ne dit-on pas que si une muse ne meurt pas, c’est parce que quelque part elle est toujours vivante, là encore parmi nous?
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-« Je ne suis point une Messaline »-
La dernière fois que les sorcières ont autant été à la mode, c’était dans les années 1890. A cette époque, Paris vibrait aux couleurs -noir et violine, naturellement- de l’occultisme, et on s’invitait à des messes à l’envers comme aujourd’hui à des apéros. Même Lalique faisait des bijoux ornés de croissants de lune et de chauves-souris. C’est à un roman que l’on devait ce soudain engouement, Là-bas de Joris-Karl Huysmans, qui bientôt d’ailleurs fut tel que dans tous les assommoirs de la capitale «il n’y avait pas (…) un petit modèle aux yeux agrandis de morphine ou d’éther (qui) ne se dressait, pour s’écrier: «Son héroïne, c’est moi!»1. En vérité, son héroïne, c’était Berthe de Courrière, une femme grande de stature comme d’esprit, et qui, comme le pseudonyme qu’elle s’était choisi indiquait, avait de grands pieds. A vingt ans, cette lilloise avais pris d’assaut Paris sans un sou en poche, et avait séduit le sculpteur Clésinger dont elle était devenu le modèle favori puis la grande amie, et à sa mort la légataire universelle. A trente et un ans, aussi libre que riche, elle frayait avec la crème de la politique, dont le général Boulanger, profitant pour cela de son image Marianne, à qui elle prêtait ses traits au Sénat. A trente-quatre ans, elle rencontrait le jeune Remy de Gourmont, dont elle devint l’amante comme la muse comme le mécène, et à trente-sept, ce fut Joris-Karl Huysmans, dont elle essaya là encore de devenir les trois mais ne parvint qu’à cocher les deux derniers. Marqué par la curiosité ésotérique de Berthe, qui fréquentait aussi bien les sacristies que les messes noires, ce dernier s’inspira d’elle pour son roman (en la mélangeant également avec Henriette Maillat, mais là ce serait trop vous en dire) et, pour la remercier de l’avoir mis sur le chemin de la conversion au christianisme qui allait changer le reste de sa vie, l’y immortalisa sous les traits d’une nymphomane ordurière, ce qui, au XIXème siècle, était presque un compliment pour une femme, hélas…Parvenue au sommet Berthe ne pouvait que dégringoler, et c’est précisément ce qu’elle fit lorsque, les années ayant passés, elle perdit sa beauté aux yeux de ses contemporains, se changeant en un tout autre type de sorcière que cette fois on s’empressa de railler. Pour tous, elle devint alors La Vieille Dame, celle qui, au crépuscule de sa vie, allait être ridiculisée par un texte cruel d’Alfred Jarry, relatant la malheureuse tentative de séduction qu’avait tenté d’opérer sur sa personne cette «Messaline» qui luisait du blair. Le reste de sa vie durant, Berthe accepta sans broncher qu’on la traite de concierge ou de cheville ouvrière, peut-être parce qu’elle connaissait déjà sa revanche posthume: si la tombe qu’elle partage avec Clésinger et Gourmont est, de nos jours, un objet de curiosité, c’est pour elle et pour elle seule car, on murmure qu’il s’y tiendrait la nuit d’étranges cérémonies sataniques. Comme quoi, le sorcières continuent dans l’ombre de veiller.
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-Splendeurs et Décadences de l’Illusion-
Que reste-il de la brillante carrière d’Ossit, alias Madeleine Deslandes, qui au crépuscule du XIXème siècle vendit presque autant de livres que Marc Levy aujourd’hui? Pas grand chose, à peine le vague fantôme du parfum écoeurant de la «pourriture des lys», et autres topos de plus pur style 1890. On ne recommandera donc pas au lecteur de lire Ossit, mais on le poussera en revanche à se pencher sur son autre carrière, celle qu’elle vécut quelque part malgré elle, y glissant comme dans un songe avec son allure évanescente de sylphide: être une créature artistique totale. En effet, bien avant que la marquise Casati n’honore pour l’éternité ce domaine que l’on qualifie aujourd’hui de performance, La Deslandes fit de sa vie entière une œuvre d’art. Munie de sa baguette magique, elle changeait le quotidien en merveilleux et tout, autour d’elle, se faisait féérie. Son appartement? Une prairie immaculée où s’ébrouaient des animaux en bronze et une licorne de manège. Ses amants? De très beaux jeunes hommes dont elle ignorait superbement «l’affreuse chose» qui gâchait tout. Son enfant? Il n’avait en rien entaché sa virginité. Ses besoins? Dans un vase en albâtre, naturellement. Pour sûr la drogue y aidait, la morphine surtout, et avec le temps ses délicates chevilles se trouaient comme du gruyère, qu’importe. Madeleine voulait être fée, ne se soucier de rien d’autre que de l’ineffable et de l’immatériel, et elle s’y employa d’ailleurs tant et si bien qu’elle en perdit tout sa fortune. Cela ne changea en rien ses habitudes et ainsi, comme le grand roi de rêve Louis II de Bavière, son maître à penser, elle maintint coûte que coûte son Fairy Land, même délabré. Parvenue à un âge raisonnable, qu’elle rajeunissait quand même de dix ans, pour le sport, elle mourut en écoutant un récit poétique relatant de sa propre mort, s’obstinant jusque dans l’absolu à décréter que c’était la vie qui devait se plier à l’art, et non le contraire…
(un grand merci à Philippe Saunier pour la photographie)
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-Whilelmine Retrouvée-
Minna Schrader était un cas un part. Elle avait vécu mille vies. On la voyait partout, dans les ateliers de Montmartre, sur les cimaises des galeries, dans les cafés de la place Pigalle, aux premières des pièces de théâtres danoises, main dans la main avec la fine fleur de la littérature, parfois de la sculpture, et même dans les registres de la police, qu’elle fréquenta brièvement lors de sa période anarchiste. On la rencontrait aussi dans des romans, mieux, elle en était même le sujet, et pas que d’un d’ailleurs, mais de trois, à succès qui plus est ! Puis, un jour elle disparut. Au début, on se demanda ce qu’il avait bien pu arriver à cet irrécupérable oiseau de nuit, qui distribuait ses faveurs avec une générosité qui n’avait d’égale que sa liberté, et on se le demanda si bien, qu’un siècle plus tard on se le demandait encore. Elle n’était en fait pas si loin, à Villejuif, en banlieue parisienne, dans un asile d’aliénés, où elle était allée et venue durant plusieurs années, «plutôt ça que de travailler ou de me prostituer» avait-elle déclaré, avant de s’y faire verrouiller à tout jamais sur ordre de la police. La raison tenait en deux mots: Lazare Weiller. C’était un inventeur, un riche industriel, et par amour pour lui, Minna avait tout quitté. Elle s’était même lancée dans l’expérimentation scientifique. Hélas, le sage Lazare n’avait pas voulu d’elle, seulement, plutôt que de se raisonner, elle décida d’aller plus loin encore, et de foutre consciemment sa vie en l’air. Les grilles de Villejuif ne tardèrent pas à se refermer sur ses envolées nihilistes, bientôt remplacés par celles, bien plus implacables, du pavillon d’isolement. Et quand après cinq années elle en sortit enfin, ce fut pour rester pour toujours enfermée dans la folie qu’on lui avait si âprement forcée à endosser. Brisée l’arrogante, piétinée. Mais on eut beau la faire taire, la bâillonner, Minna continua à parler, et aujourd’hui à Villejuif, se trouve aux archives une épaisse liasse de papier qui continue à le faire pour elle, c’est son histoire et, pour la première fois peut-être, c’est elle seule qui l’a racontée.
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-Portrait d’une Amazone-
J’ai presque fini de le lire, je savoure….
AHHH mille mercis pour ces portraits. Depuis le temps que je me dis qu’il faut que je commande ton livre. J’arrête de procrastiner!
J’ai un crush sur Ginette, la sensibilité qu’elle porte dans son regard me touche énormément…
Douce soirée à toi!
Merci pour cet article !
Je l’ai terminé et je l’ai adoré. Que de beaux portraits, toutes ces femmes sont des découvertes pour moi. Bravo pour ce projet!
Bises
Justine