Pictures by Pauline Darley
La scène m’est familière : au milieu de nulle part, un protagoniste se tient devant une immense grille de fer forgé dont les majestueuses arabesques dévoilent au bout d’une longue allée un château à l’étonnante symétrie. Sous les lueurs glauques des éclairages artificiels, ses hautes tours carrées se parent d’une inquiétante étrangeté, et ainsi que dans un film de Dario Argento, paraissent vibrer, nous menacer. Mais en ce jour d’août 2017, un écrasant soleil d’été a remplacé la nuit et ses néons, le protagoniste c’est moi, et je ne suis plus trop sûre d’être présente dans la réalité, tant cette vision qui se tient sous mes yeux me rappelle avec force le mémorable Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Comment aurais-je pu deviner qu’en allant visiter le château de Ferrières-en-Brie, j’allais me retrouver projetée au sein d’une de mes séquences cinématographiques favorites de tous les temps ? Mon intuition disait vrai, car j’appris plus tard que le fantasque réalisateur s’inspira pour son film de ce fleuron de l’architecture française, qu’il découvrit en se penchant sur le Bal Surréaliste organisé par les Rothschild, alors propriétaires du lieu, où la baronne grimée en Baphomet fit exposer d’étranges nature mortes de poupons démembrés et de figures de cires dénudées, difficile dans ces circonstances de ne pas penser à la décadence du mystérieux bal masqué dans lequel se faufile Tom Cruise. D’ailleurs, Kubrick tourna ce film qui fut son dernier dans une autre résidence des Rothschild, le manoir de Mentmore Towers en Angleterre.
C’est justement ce lien avec la terre d’Albion qui apporte la pièce manquante à mon puzzle, car en découvrant cette curieuse façade au milieu de la campagne parisienne, je ne pu m’empêcher de penser à un autre château, celui de la série Downton Abbey, et de me demander ce qu’un tel édifice, aussi puissamment anglais, pouvait donc faire en France…Si les demeures de Mentmore Towers et de Ferrières partagent la même silhouette jacobéenne, ce n’est pas un effet de hasard, car ces constructions furent toutes deux dessinées par architecte Joseph Paxton, auteur d’une des plus célèbres œuvres de l’ère industrielle, le Crystal Palace. Auparavant, le domaine de Ferrières, qui fut acquis en 1829 par le baron James de Rothschild (son ancien propriétaire était Fouché, le ministre de la police de Napoléon !), comportait un château rénové dans le goût néo-classique, qui fut par la suite ensuite entièrement détruit afin d’être transformé dans les années 1850 par Paxton en un manifeste de splendeur néo-renaissance, destiné à rivaliser de grandeur avec le Matmore Towers de Mayer de Rothschild, le cousin de James de Rothschild. Je ne peux m’empêcher de saluer cette émulation des très riches sans qui nous n’aurions peut-être pas eu de telles merveilles architecturales.
Jewels : les Nereides / Sandals : Carel / Dress : The Pretty Dress
Un siècle avant le fastueux Bal Surréaliste, le château de Ferrières a connu des fêtes nombreuses et non moins somptueuses, et a également accueilli des visites illustres comme celle de l’empereur Napoléon III, ou celle, plus surprenante, du chancelier Bismarck. Au sortir de la désastreuse débâcle de Sedan qui mit un terme à la fête impériale, ce dernier y convia le ministre des affaires étrangères de la balbutiante III République, entrevue restée secrète mais qui n’empêchera malheureusement pas Paris d’être assiégée et ses habitants réduits à manger les éléphants du zoo de Vincennes ! On peut dire que le château fut témoin de la grandeur et décadence du Second Empire ! N’oublions pas que le baron James de Rothschild était alors l’un de hommes les plus riches de France, aussi sa résidence de Ferrières fut conçue pour témoigner de cette éclatante fortune, avec une ostentation d’un goût très sûr qui y attira les puissants des Tuileries, mais aussi de l’Europe.
Classé au registre des monuments historiques depuis les années 2000, le château de Ferrières n’appartient plus aux Rothschild puisque ceux-ci l’ont cédé depuis peu à la commune de Ferrières-en-Brie, qui en a confié l’avenir à une société privée. Ainsi en 2015, l’Ecole Ferrières, une prestigieuse institution d’hôtellerie, de luxe et de gastronomie y a ouvert ses portes, et s’applique à transmettre ces même valeurs d’excellence à la française qui faisaient la fierté du château au temps de la gloire des Rothschild. Et si l’on a pas la chance de faire partie des chanceux élèves qui viennent y étudier, il est tout de même possible de profiter de ce cadre de rêve puisque le château abrite également deux restaurants gastronomiques, le Chai et le Baron. Amusant quand on sait que le château ne comportait à la base pas de cuisines dans son corps de logis, une particularité tout à fait unique pour l’époque : pour ne pas en subir les odeurs (le raffinement, toujours !), elles étaient située dans un pavillon adjacent, relié par un souterrain !
Avant d’être transformé en école, le domaine de Ferrières a été le théâtre de nombreux tournages, ainsi en plus d’Eyes Wide Shut, on peut citer celui de la Neuvième Porte de Polanski, de la série télévisée Un Village Français, et du clip culte de Partition de Beyoncé ! Aujourd’hui, ces réalisations sont moins nombreuses à investir le château, car trop endommageantes pour l’entretien et la bonne conservation de l’ensemble.
Si l’aspect extérieur du château fascine par l’élégance de sa tournure néo-jacobéenne, l’aménagement intérieur n’est pas en reste sur la question de la magnificence ! Ce fut le peintre et illustrateur Eugène Lami qui fut chargé par le baron de Rothschild d’en assurer la décoration, et il entreprit pour l’occasion un voyage d’étude en Italie, dont l’inspiration se lit aisément dans les médaillons de Gorgone et les candélabres du grand hall d’entrée, somptueuses allusions au maniérisme de la Haute Renaissance italienne. Outre ce décor féérique, le château avait pour avantage de présenter le nec plus ultra des commodités de l’époque, cuisines externes comme on a pu le voir, ainsi que chauffage central, eau chaude dans toutes les pièces, bref un vrai paradis de luxe et de confort moderne !
J’ai été prise d’un vrai coup de cœur pour cette pièce aux parements de brocard bleu myosotis, dont le décor de fontaines richement ornées et de portes aux lambris ornés de cornes d’abondance -c’est le cas de le dire- n’a rien à envier à celui de palais romains !
Symphonie de tons crème, ciel et or dans cette immense salle à manger au mobilier capitonné designé par Philippe Starck, qui est aujourd’hui la résidence du restaurant gastronomique Le Baron. Toujours cette petite touche néo-renaissance, comme on le voit sur ces vases monumentaux à décor de putti dont les anses sont ornées de satyres.
Et voici la pièce maîtresse, celle qui ensorcelle, l’incroyable, que dis-je, l’extraordinaire salle de réception du château, manifeste incomparable de l’éclat de la dynastie Rothschild. Sur un écrin de satin pourpre, les colonnes enrobées d’or sont surmontées par des frises semées de guirlandes finement ciselées, tandis que des caryatides mauresques aux musculatures puissantes portent le poids de cette construction dont les étages semblent s’élever sans fin. Un programme décoratif qui aurait pu être perçu comme surchargé, dans un goût étouffant si typique du Second Empire, est dominé par une imposante verrière dessinée par Paxton (et caractéristique de son œuvre de verre), qui en atténue la lourdeur. Le long des murs, on peut découvrir des reproductions imprimées des tableaux qui auraient pu s’y trouver à l’époque, et dont les originaux sont aujourd’hui dans les grands musées de ce monde comme le Louvre, à l’instar du portrait de la belle et mystérieuse Madame de Rothschild par Jean-Dominique Ingres.
Coté jardin, cette façade d’une absolue symétrique est tout aussi magistrale, et illumine de son clarté marmoréenne un parc qui s’étend sur plus de cent vint hectares, conçu dans un style anglais avec lac et fabriques, comme ce temple de l’amour qui ajoute un charme pittoresque à ce panorama déjà si romantique. En ce jour d’août, l’éclat de ces pierres immaculée était tel qu’il en réfléchissait de manière aveuglante et insolente la lumière du soleil, et je me noya joyeusement dans la contemplation hypnotique de cet halo quasi surnaturel…
Informations pratiques :
Rue du Château – BP 49
77164 Ferrières-en-Brie
Le Château de Ferrières, est accessible par le RER A depuis Paris, en direction de Marne la Vallée, il faut descendre à Bussy Saint Georges et marcher ou prendre le bus 22 jusqu’à l’arrêt Château.
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From Paris with Love,
Louise
On croit qu’on a tout vu dans la région, mais l’Ile-de-France regorge décidément de joyeux méconnus ! Merci pour cette belle visite guidée, une idée d’excursion à retenir.
Merci pour cette visite, qui me donne envie d’aller en faire une. Un château de plus à ajouter à ma collection de promenade.