Pictures by Pauline Darley
Autrefois privé, car résidence intime des présidents de la République, le château de Rambouillet a été ouvert au public en 2009, avant de se voir à nouveau fermé en 2015, dans le but de subir d’importants travaux destinés à la rénovation complète de sa toiture, qui datait de 1961, et ainsi que de la façade extérieure du corps de logis principal, que nous voyons ici sur les photos. C’est afin de célébrer sa grande réouverture que nous fûmes -durant les premiers jours de l’automne- conviés à visiter cette éternelle demeure des rois; nous la retrouvâmes, et pour certains la découvrîmes, impeccablement immaculée, nous aveuglant presque de son altière clarté. Lorsque, quelques heures plus tard, je vis les sommets effilés de ses hautes tourelles se détacher sur un ciel troublé qui déjà annoncer l’orage, je pensa à ces décors qui, au crépuscule du XVIIIème siècle, ornaient alors les gravures accolées aux poèmes de Walter Scott, et c’est de cette allure brumeuse et pourtant touchée par le sublime, ce délicieux frisson d’inquiétude qu’Edmund Burke théorisa au spectacle d’une nature déchainée, dont Marie-Antoinette devait être la farouche opposante, elle qui surnomma « crapaudière » cette résidence « gothique » qui pourtant n’eût rien à envier aux joyaux de la Loire…
Comme tous les grands châteaux français, celui de Rambouillet affiche dans son histoire une longue liste de propriétaires; en effet, depuis l’âge des seigneurs féodaux, une pléiade de familles prestigieuses s’y sont succédées, D’Angennes, d’Armenonville, de Bourbon…De Bourbon ? Et oui, ceux-là même issus de la lignée du Roi Soleil, ces messieurs les Comte de Toulouse et Duc de Penthièvre ! Ne paniquez pas si cela ne vous dit rien, on y reviens dans un instant !
A l’occasion de la réouverture de ses portes au public après deux ans de travaux, le château de Rambouillet s’est associé à celui de Versailles pour la présentation d’une exposition ayant pour trait les vies et personnalités des princes qui ont fait de ce domaine leur terre de prédilection. Réalisée d’un commun effort entre ces deux demeures royales, elle offre une remarquable galerie de portraits, dont certains ont été réalisés par les plus grands artistes de leur temps, à l’instar de Pierre Mignard ou Hyacinthe Rigaud, qui y représentent l’un des deux princes de Rambouillet sur lesquels se penche l’exposition : d’une part le Comte de Toulouse, fils illégitime de Louis XIV avec la sulfureuse Athenaïs de Montespan, dernier né d’une longue lignée de bâtards royaux, dont l’ascendance tenue secrète ne le priva ni d’affection ni de titularisation, et d’autre part son fils, le Duc de Penthièvre. L’exposition nous a été présentée par l’un des conservateurs du château de Versailles, le passionnant Raphaël Masson que les amateurs d’histoire connaissent bien, autant dire que nous étions privilégiés, mais qui mieux que lui pour nous expliquer la généalogie complexe de la tortueuse descendance du Roi Soleil…
L’exposition se développe au sein des appartements d’assemblée du comte et de la comtesse de Toulouse, le fils et la belle-fille de Louis XIV donc, et présente une superbe galerie de portraits princiers choisis parmi les collections des châteaux de Versailles et de Rambouillet, dont ce grand portrait de famille (celle du Duc de Penthièvre cette fois) dit « à la tasse de chocolat », témoignant de la vague d’intimisme qui souffle sur les représentations nobiliaires, dans l’esprit des « conversations pieces » anglaises.
Au détour d’un panneau, Marie-Antoinette peinte par Adolf-Ulrik Wertmüller, auteur de nombreuses représentations de la reine, dont cette dernière, réalisée à partir d’un grand portrait de cour qu’elle n’estima guère, mais dont elle offrit pourtant les diverses variations à ses être chers, comme celui-ci qui appartint au fidèle Axel de Fersen.
Sommet de délicatesse dans ce boudoir qui déroule avec grâce les gammes du style Louis XVI, style qui, comme l’écrit avec justesse Stefan Zweig -compatriote biographe- doit si peu au balourd monarque, et tant à l’exquise frivolité de l’étourdissante Marie-Antoinette, qu’il « devrait avoir pour marraine cette femme délicate, élégante, remuante ».
Mais puisque l’on parle de Marie-Antoinette, il est temps de partir à la découverte de sa fameuse Laiterie…
Malgré son aversion première, Marie-Antoinette devait couler une poignée de jours heureux à Rambouillet, ce qui n’est pas grand chose mais déjà plus que ce que Louis XVI espérait pour sa tendre femme, lui qui lui fit construire et aménager une Laiterie de la Reine, ainsi qu’un appartement composé d’une belle suite de pièces dans le goût charmant du siècle, qui ne furent hélas témoins d’aucune nuit dans la course effrénée de sa courte vie. Trop agitée, la reine du rococo ? Offrande surprise du souverain débonnaire à sa bien-aimée, la Laiterie, dessinée par Hubert Robert qui conçut le Hameau de la Reine avec Richard Mique, est une précieuse relique de cette époque rousseauiste qui voyait son salut dans la retour à la nature, nature qui, somme toute, esthétisée et aseptisée, tenait plus du caprice de gentilhomme que du rude quotidien des indigents qui peuplaient alors les campagnes françaises, bien réelles cette fois. On imagine la déception du pauvre Louis, ce « brave homme » comme le nommait la reine son épouse, en voyant que celle-ci n’accorda que peu de séjours à cette pastorale à peine édifiée, et déjà délaissée…Il est bien triste que Marie-Antoinette ne pas soit pas éprise de ce domaine aux couleurs bucoliques, mais il faut dire qu’elle n’eût guère le loisir d’en goûter les joies, puisque que bientôt déjà tambourinait la Révolution aux portes de son Trianon chéri. Mais si les charmes de Rambouillet ne furent pas assez coquets pour les vanités de l’ancienne archiduchesse, ce fut néanmoins la surindentante de sa Maison, la douce Princesse de Lamballe, qui y établît un royaume pittoresque parsemé de fabriques. Nous y reviendrons.
Il est difficile de ne pas se sentir nimbé de lumière en pénétrant dans cette rotonde à la fraîcheur marmoréenne, quelle harmonie dans ces murs de grès subtilement rythmés par des médaillons réalisés par Pierre Julien, et qui, sous les reliefs ciselés d’un splendide plafond à caissons offrant un éclairage zénithal, font défiler de pittoresques scènes de la vie rurale, sculptées selon la mode antique qui connait à l’époque un important nouvel essor.
Chef d’œuvre de pureté néo-classique, la « salle de fraîcheur » agrémentait la soif des nobles venus se désaltérer après une galante promenade; on y dégustait le lait dans des jarres présentées de chaque coté de cette pièce d’un goût simple mais d’apparat tout de même, jarres qui étaient régulièrement rafraichies par des jets d’eau qui devaient construire une élégante harmonie avec ceux, ricochant sur les pierres faussement poreuses, de la grotte qui trônait en centre de cet ensemble décoratif. Point d’orgue de cette symphonie de blanc virginal, une Amalthéé de Pierre Julien achève de faire de cette folie un monument de raffinement XVIIIème, entre charme pittoresque et harmonie classique.
Autour de la Laiterie, s’étendent les verts pâturages d’un parc à l’anglaise de près de 25 hectares, dont les chemins sinueux doivent plus au talent des architectes paysagistes Jean-Baptiste Paindebled et Claude-Martin Goupy (commandités par le duc de Penthièvre)qu’aux hasards de la nature, incluant les éléments indispensables d’un jardin selon la mode anglo-chinoise de l’époque, à savoir grotte, ponts et rivières, fabriques, et même un arboretum, c’est à dire un terrain d’études d’arbres d’espèces exotiques, pendant végétal de la ferme expérimentale installée non loin par Louis XVI (et toujours en activité !). En traversant les canaux qui émaillent ce sous-bois idyllique, les dames pouvaient être tentées de composer un églogue, la vie était tendre alors, on pouvait, telle une Héloïse retrouvée, s’extasier sur la perfection d’une fleur, et quand était venue l’heure des soupirs, c’est la Chaumière aux Coquillages qui venait recueillir les confidences de ces promeneuses aux robes de percale.
Pénétrons ensemble dans la pièce maîtresse des jardins du Château de Rambouillet, du moins la plus insolite, la Chaumière aux Coquillage, véritable nymphée de rocaille dont les mille et une nacres scintillent au gré des baisers du soleil; à vrai dire, il y a sans doute plus de conques et de corails dans cette pièce étroite que sur les plages de France et de Navarre ! On comprend mieux pourquoi les constructions de ce type se nommaient alors -en encore aujourd’hui- des « folies »…
Édifiée, ou plutôt, assemblée en 1779 par le groupe d’architectes du jardin anglo-chinois qui l’entoure, la Chaumière est un cadeau du duc de Penthièvre à sa belle-fille, la languide princesse de Lamballe dont l’époux, un débauché notoire qui lui transmit la syphilis, n’eût qu’une bonne idée de son vivant, celle de décéder dans la fleur à peine entamée de ses vingts ans, laissant son épouse seule, mais surtout libre. Outre sa mort épouvantable (je vous laisse avec l’ami Google), Marie-Thérèse est surtout connue pour avoir été la tendre amie de Marie-Antoinette, qui lui préféra bien vite la pétillante et ô combien attirante Duchesse de Polignac, il faut dire que par sa santé fragile, Marie-Thérèse était sujette au spleen et aux vapeurs, des humeurs pour le moins étrangères au caractère désinvolte de l’inconstante autrichienne. Nul ne sait si cette dernière eut le plaisir de promener ses doigts sur les parois de nacre de cette ensorcelante cabane, mais il est certain que le cas ayant, elle en aurait sans aucun doute apprécié, comme nous aujourd’hui, la pureté des lignes néoclassiques, ainsi que la somptuosité des motifs. Il est amusant de voir comme cette richesse du décor intérieur tranche avec l’aspect profondément rustique de sa façade faite de chaume et de fémurs de bœuf (oui, vous avez bien lu !), passant, ainsi que d’un monde à un autre, du rural au royal. Autre fait rare, le mobilier d’origine a été conservé, et c’est celui-là même que nous pouvons encore contempler.
Jouxtant cette rotonde de rocaille, un gracieux boudoir offrait à ses dames l’opportunité de se refaire une beauté, puisque, derrière ses lambris semés d’entrelacs floraux, des automates aujourd’hui disparus se dévoilaient afin de proposer fards et pots de rouge. Difficile d’imaginer un tel degré de raffinement !
Entremet photographique, avant de nous attabler au banquet du G6 de 1975, qui eut lieu dans la grande salle du Château, anciennement Chambre Haute des appartements royaux. Bon appétit !
N’ayant que peu d’intérêt à consacrer à la politique des Trente Glorieuses, je préfère me tourner vers une autre Histoire, mais non moins glorieuse, puisqu’il s’agit de celle des Valois, cette dynastie par trois fois centenaire qui régna sur la France jusqu’à l’avènement d’un huguenot abjuré, l’affable Henri IV. Sous la Haute Renaissance, le château de Rambouillet, édifié deux cent ans auparavant par le chevalier et prévôt de Paris Jean Bernier à partir d’un modeste manoir, n’est pas une demeure olympienne, mais le monarque, grand amateur de chasse, en goûte régulièrement les joies cynégétiques. Malheureusement pour lui, et heureusement pour la préséance du règne animal, il devait y connaitre le trépas, dans cette même salle où, séparés par de nombreux siècles et autant de révolutions, soupèrent sous les lambris dorés les maîtres d’un autre temps…
Je ne pouvais quitter le domaine de Rambouillet sans improviser une séance photo avec Pauline Darley, d’autant plus que cette majestueuse perspective nous offrait un écrin idéal pour couronner cette belle mais orageuse journée…Sentez-vous la menace du tonnerre qui déjà gronde à l’horizon ? A moins qu’il ne s’agisse du fantôme de François Ier, venu foudroyer les impudents visiteurs ayant eu l’audace de troubler sa chère tranquilité, après tant d’années de silence…François, pas à moi, car c’est pour toi que je suis parée de ma plus belle cape, et, campée sur le talon de mes cuissardes de fauconnière, je continuerais, masquée en d’Estrées(*), d’arpenter les allées de graviers de ton château falot, et pourtant tombeau…
(*) Gabrielle d’Estrées était la favorite d’Henri IV, mais je trouvais le mot joli, aussi l’ai-je gardé ainsi !
Au revoir !
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Domaine national de Rambouillet
78120 Rambouillet
Pour y accéder, en train depuis la Gare Montparnasse, et bien sûr en voiture !
L’exposition se tient jusqu’au 22 janvier.
Toute ma jeunesse… (j’ai été rambolitaine pendant les dix-sept premières années de ma vie !)
Et, Louise : *je pensai et pas je pensa ;P