Quand je vous disais, la semaine dernière, que j’avais dormi dans une chambre à l’authentique décor XVIIème où avaient, peut-être, car rien n’était moins sûr, séjourné deux rois de France, je pensais avoir atteint mon firmament personnel en ce qui concernait mon voyage au cœur de l’Histoire. Et bien je me trompais car, comme la vie réserve toujours bien des surprises, figurez-vous que le mois dernier je me suis retrouvée conviée à passer un week-end dans un palace mythique, le Beau-Rivage à Genève, entre les murs même d’une suite où avait un jour trépassé un altesse, et pas n’importe laquelle: Élisabeth d’Autriche, l’éternelle Sissi.
Étant assez fan de tout ce qui concerne la galaxie tragique et torturée des Wittelsbach, dont Sissi est loin d’avoir été la plus excentrique, par ailleurs, je savais bien sûr que c’était après avoir séjourné dans cet établissement, lors d’un bref passage à Genève en 1898, que le soleil noir de cette dynastie s’était éteint, frappé au cœur par la pointe aiguisée du couteau d’un anarchiste italien, qui avait surpris l’impératrice alors qu’elle se tenait sur le quai du Mont-Blanc, prête à embarquer pour Montreux. Je savais aussi, que dans l’hôtel avait été installé un petit autel à sa mémoire, contenant entre autres un ruban taché de sang et une rose de son cercueil. Mais ce que je ne savais pas, en revanche, c’est que j’allais séjourner et dormir chez elle, dans la suite Sissi, là précisément où -car je me suis empressée de le vérifier-, la mélancolique souveraine avait passé non seulement sa dernière journée, mais aussi ses dernières secondes, puisque c’est là qu’on l’avait aussitôt ramenée, dans le souci désespéré -et condamné- de la sauver. Autant vous dire que, la première nuit, j’ai gardé un œil à demi-ouvert, après tout sait-on jamais, ce n’est pas toujours les jours qu’on peut converser avec l’une de ses figures historiques préférées ! Encore aujourd’hui, je dois vous dire que je m’en suis pas tout à fait remise, d’avoir eu la chance de passer trois jours dans ce monument d’histoire, dans ce lieu emblématique, dans ce décor fabuleux, où tout n’est que rêve, luxe et beauté. Pincez-moi s’il vous plait !
Devant la suite Sissi, où nous avons élu domicile, la fameuse vitrine consacrée aux souvenirs du passage de l’impératrice, émouvant témoignage. S’y trouve notamment le manuscrit original récit de Fanny Meyer, propriétaire -avec son mari Charles Meyer- du Beau-Rivage à l’époque de Sissi, et qui relate de façon poignante les derniers instants de cette dernière :
« L’impératrice était arrivée à l’hôtel, râlant, et rendit le dernier soupir environ vingt minutes après. La comtesse Sztaray lui ferma les yeux et lui joignit les mains. Un prêtre était là. (…) L’impératrice fut embaumée et mise dans son cercueil le soir. La comtesse me fit demander ainsi que mon mari et me donna une rose qu’elle prit du cercueil et que je garde précieusement, ainsi qu’un petit bout de ruban mauve tâché de sang.«
L’hôtel a, en revanche, refusé d’y exposer le cerveau de Luigi Luccheni, l’assassin de Sissi (beaucoup de s !), qui avait été prélevé à sa mort afin de l’étudier (ah, l’âge d’or de la phrénologie…), et qui, après avoir été exposé au musée d’anatomie de Genève, fut ensuite proposé -sans succès- au Beau-Rivage.
* La suite Sissi *
Insérer la carte dans la porte et découvrir ce décor, c’est une expérience unique, d’une féérie totale. Durant les trois jours que j’y ai passé, la suite Sissi n’a pas cessé un instant de m’émerveiller. A vrai dire, j’ai tellement regardé chaque détail, je me suis tellement imprégnée de son atmosphère, les yeux grands ouverts, attentive à chaque changement du soleil sur ses tentures de brocard, sur ses coussins de velours vénitien, que j’ai forcément dû y laisser une part de moi. La décoration a beau être fastueuse, elle n’en est pas moins chaleureuse, et ainsi, quelque part, on s’y sent chez soi.
Si le décor du salon a changé, ce -très- grand miroir, en revanche, est resté. La légende ne dit cependant si, à l’instar de l’impératrice, il porte malheur à qui vient s’y mirer.
Adjacente au salon, ce qui donne l’impression d’un appartement, la chambre n’est pas en reste question décor de palais, en témoignent ces 45 000 photos du baldaquin, digne de mes fantasmes les plus fous ! J’ai eu beau tenter de me tenir éveillée pour guetter le fantôme de Sissi, je n’ai pas tardé à succomber à l’emprise si tentante de ce lit moelleux et enveloppant comme un cocon, véritable nuage de bonheur où s’abandonner paisiblement, et si spacieux avec ça, que pour tenter de rejoindre mon compagnon, il me fallait presque me munir de mon passeport !
Un dressing comme on en rêverait chez soi
Et enfin, la salle de bains, le temple des eaux ! Ici, ce n’est pas un voyage dans le temps qui est proposé, mais dans le bien-être et la volupté, avec une baignoire faisant jacuzzi (et boîte de nuit, avec lumières colorées) et une douche faisant sauna, de quoi se faire un home spa digne d’un roi. J’ai beau essayer de faire le maximum pour limiter mon empreinte sur l’environnement, là, il me faut bien avouer que ce fut un échec complet; tant pis, c’était trop bon, et j’en ai bien profité !
Un peu chaud après le sauna ? Pas de problème, il y a la terrasse avec vue imprenable sur le lac (et le jet d’eau), rien de moins !
* Le Beau-Rivage *
L’hôtel Beau-Rivage, ce n’est pas seulement l’histoire de Sissi, c’est avant tout l’histoire d’une famille, les Meyer qui, depuis cinq générations, continuent d’insuffler leur passion dans cet établissement, l’un des seuls dans la monde à ne pas appartenir à un groupe hôtelier. Aussi, bien que l’on soit dans un des cinq étoiles les plus luxueux d’Europe, il y a ici un je ne sais quoi d’intimiste, d’humain, qui fait que l’on se sent appartenir à un ensemble, comme s’il s’agissait d’une magnifique demeure dont on serait, le temps d’un week-end, les chanceux invités. Rien de froid, rien de désincarné, partout du rêve, de la magie.
Fondé en 1865 par un couple d’aubergistes allemands, les Meyer, dans une ville qui n’en est alors qu’aux balbutiements de son tourisme, le Beau-Rivage ne va pas tarder à rallier l’Europe cosmopolite, qui voit en Genève son nouveau point de chute, grâce à l’expansion de chemin de fer et la fondation de la Croix-Rouge, assurant à la ville son rayonnement international. De Sarah Bernard à Louis II de Bavière, tout ce que le « monde d’hier » compte de grands noms y séjourne, et, en 1873, l’hôtel devient le premier au monde à se pourvoir d’un ascenseur.
Pour satisfaire sa clientèle huppée, de plus en plus exigeante à une heure où le progrès avance à toute allure, le Beau-Rivage déploie au XXème siècle des trésors de savoir-faire, parvenant ainsi à conserver son prestige, les stars de cinéma muet, comme Douglas Fairbanks et Mary Pickford, ou encore Charlie Chaplin, remplaçant désormais les aristocrates. Après la Première Guerre, l’indépendance de la Tchécoslovaquie est signée dans un salon de l’hôtel, puis, c’est l’installation de l’ONU à Genève qui continue de faire du Beau-Rivage un lieu de passage incontournable. En 1945, Eleanor Roosevelt y séjourne alors qu’elle préside le comité chargé de rédiger la Déclaration de Droits de l’Homme. Aujourd’hui, malgré sa fermeture durant la Seconde Guerre, le Beau-Rivage continue d’attirer des visiteurs venus du monde entier, et, grâce à son excellence, a su mériter sa place de cinq étoiles à l’aura légendaire.
Le grand hall, qui reste fidèle à ce qu’il fut au XIXème siècle, avec ses colonnes de marbre et ses balustrades, si élégantes.
Le bar
La suite Louis II de Bavière, qui y a séjourné, avec vue imprenable sur le Lac.
Esprit rococo avec stucs et angelots dans la suite Grand Terrasse Résidence, de 165 mètres carrés, un vrai palais !
La suite Impériale rend hommage au japon et à l’art Déco, avec ses laques et ses lignes droites, très stylisées, on se croirait dans un appartement de Coco Chanel.
Chez Charlie Chaplin, on découvre une suite en duplex ! Incroyable comme chaque suite possède son identité propre, avec une décoration unique, pensée jusqu’au moindre détail. Du choix des meubles aux couleurs, tout est fait pour combler l’oeil, ou le surprendre.
Et enfin, chez Eleanor Roosevelt, dans la suite Royale de 250 mètres carrés, un vrai labyrinthe, où fut peut-être rédigé le texte le plus important du XXème siècle !
* La vie au Beau-Rivage *
Comme je m’en suis soudainement rappelé au milieu du séjour, et ce pour mon plus grand bonheur, Genève est le cadre de mon roman favori : Belle du Seigneur. Pour ceux qui ne l’auront pas lu, c’est dans cette ville, autour de la SDN, que se déroule la majeure partie de l’intrigue, centrée autour des amours de Ariane et de Solal qui, une fois chassés de la bonne société du fait du caractère illégitime de leur relation, choisissent de s’établir en vase clos au Ritz, consumer jusqu’aux derniers retranchements une passion qui, à force d’être trop sublime, trop idéaliste, ne peut fatalement que s’éteindre. Belle du Seigneur, donc, c’est un rêve de beauté mené par deux exilés, un rêve de perfection qui ne peut perdurer, et c’est justement ce qui, dans le livre, est déchirant. Seulement, à mon sens Albert Cohen a commis une erreur, c’est que l’intrigue aurait dû se dérouler au Beau-Rivage et non au Ritz, qui a perdu sa magie d’autrefois.
Tout ça pour dire que, obsession de la perfection amoureuse mise à part, je m’y suis vraiment crue, dans Belle du Seigneur, car tout était si magique, si parfait. Moi qui, d’ordinaire, suis si curieuse, si avide de visiter le moindre musée lorsque je suis en voyage, je suis à peine sortie de l’hôtel durant les deux jours et demi qu’aura duré le séjour. Pourquoi ? Parce que le Beau-Rivage, c’est une expérience immersive, c’est le séjour d’une vie, et cela ne dure qu’une fois, sauf si vous êtes très très chanceux. Alors, ignorant superbement le monde comme les héros de Cohen, je me suis retranchée dans la beauté éternelle, testament du passé, de ma suite. J’ai pris des bains, admiré le lac, commandé du room service. J’ai aussi fait un truc totalement inhabituel chez moi, je me suis laissée dorloter par le personnel de l’hôtel, toujours aux petits soins, toujours à l’écoute, et je n’en étais pas gênée pour une fois, car j’ai compris que c’était fait avec art, et que c’était une démonstration de savoir-faire.
En somme, j’ai vécu dans une bulle incroyable, et c’est dur à décrire car les mots me manquent, au contraire je suis inondée d’images, de sensations précises, mais intraduisibles à l’écrit. Une chose que je puis dire, en tout cas, c’est que je m’en souviendrais toute ma vie….
Le petit-déjeuner
La lumière d’une journée ensoleillée.
Après le bain
Flâneries
Se promener (un tout petit peu) dans la ville parce que quand même.
Le musée des beaux-arts – la chapelle des macchabées – l’hôtel de ville – le centre – l’immeuble des paons
Prendre un verre au bar
Manger de la fondue tous les soirs (au Bains des Pâquis, et aux Armures)
Le dernier réveil
Le dernier petit-déjeuner
…qui ne fut pas le dernier repas, puisque l’hôtel nous ayant très gentiment proposé de garder la chambre jusqu’à notre départ en train le soir, nous avons fêté cela avec un room service !
…
Merci au Beau-Rivage et à La Boutique RP pour cette expérience inoubliable.
Louise
Perfekt, I should love to stay there for long time :-)
Beautyful dresses and shoes :-)
Très joli post, comme toujours, avec de superbes photos et des textes intéressants. Félicitations à vous, Louise, que je suis régulièrement depuis des années (peut-être 10…)sans toutefois laisser de commentaires.
Merci pour ce merveilleux partage de Beau Rivage. Je suis passionnée par Elisabeth d’Autriche et vais autant que je peux sur ses pas.Splendides photos !