Pictures by Pauline Darley
« « Auprès de l’ancienne ville de Lyon, du côté du soleil couchant, il y a un pays nommé Forez, qui en sa petitesse contient ce qu’il y a de plus rare au reste des Gaules… Plusieurs ruisseaux en divers lieux vont baignant la plaine de leurs claires ondes, mais l’un des plus beaux est Lignon, qui vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source, va serpentant par cette plaine depuis les hautes montagnes de Cervières et de Chalmazel jusqu’à Feurs où Loire le recevant, et lui faisant perdre son nom propre, l’emporte pour tribut à l’Océan. »
C’est ainsi que par ces mots aux résonances dithyrambiques que l’écrivain Honoré D’Urfé initia l’Astrée, célèbre roman-fleuve de la littérature française du XVIème siècle, et dont la source se trouve encore ici au cœur du pays de la Loire, dans cette souveraine plaine qui s’étend entre les monts du Forez et ceux du Lyonnais, et que Pauline et moi avons été invitées à découvrir en juin dernier, lors d’un séjour thématique à la rencontre des châteaux de cette autre Loire…
Notre périple a commencé au cœur des montagnes du Forez, à près de 1600 mètres d’altitude, là où se niche le charmant village de Chalmazel qui abrite en son sein le majestueux château des Marcilly-Talaru, dont l’origine remonte aussi loin que le XIIème siècle, puisqu’il fut édifié en 1231 par un vassal du Comte de Forez, Arnaud de Marcilly. A l’origine simple maison forte, cette demeure fut progressivement édifiée en imprenable forteresse par ses habitants qui s’établirent Seigneurs de Chamazel, et qui, ainsi perchés au sommet de ce nid d’aigle qui surplombe la vallée du Lignon de manière spectaculaire, assurèrent par ce biais leur domination sur l’ensemble des alentours. Plus tard, lors de la Renaissance française, le château fut remanié pour correspondre au goût italien entré en mode depuis le retour des campagnes d’Italie, ce qui donne à l’ensemble une allure tout à fait composite, avec d’un coté des éléments typiquement médiévaux comme un donjon, des contreforts ou un chemin de ronde bordé de mâchicoulis, en somme une architecture de défense, et d’un autre coté une recherche nouvelle d’élégance et d’ostentation, présente dans les galeries ouvertes ou la superbe chapelle ornées de fresques, qui témoignent des aspirations esthétiques de l’orée du XVIème siècle.
Après une brève carrière de pensionnat religieux, la lignée Talaru s’étant éteinte au XIXème siècle, le château est aujourd’hui une demeure privée, transformée en charmante maison d’hôte par ses propriétaires, qui proposent des chambres très joliment meublées faisant revivre les moments forts de son histoire, ainsi on peut y dormir dans une chambre médiévale avec lit à baldaquin garni d’épaisses tentures, ou dans une suite Renaissance dans le plus pur style 1500. Dès mon arrivée, j’ai été complètement chavirée par cette atmosphère, qui pousse à son paroxysme l’expérience du château-fort, avec un sens du détail très juste qui se poursuit jusque sur la table puisqu’on y dine à la mode de l’époque, de plats médiévaux au miel et au citron qui se partagent autour d’une grande tablée. L’ambiance était parfaitement Rois Maudits, et je rêve d’y retourner un jour !
Après une nuit sans fantômes au château de Chalmazel, nous avons pris la direction de la forteresse de Sail-sous-Couzan qui elle aussi surplombe de manière stratégique la vallée du Lignon, et qui fut autrefois la résidence des Seigneurs de Damas, lignée venue de Bourgogne pour s’établir dans la région, et qui devint la principale châtellenie du Forez. De part sa topographie faite de monts et de vallons à très forts reliefs, on comprends aisément pourquoi la région du Forez fut à l’époque médiévale un haut lieu de construction de forteresses féodales, et si ces enceintes ont aujourd’hui nécessairement perdu leur fonction défensive, elles demeurent néanmoins des points d’observation incomparables permettant d’admirer le panorama spectaculaire de cette vallée aux paysages incroyablement picturaux.
Pour visiter le château de Couzan, il ne faut donc pas avoir le vertige, ni même peur de grimper car la visite est escarpée, la citadelle étant installée sur un éperon rocheux très en altitude. De plus, comme sa cour intérieure est située au sommet, il faut s’équiper de bonnes chaussures pour en escalader le chemin quelque peu abrupt (mais vous y croiserez peut-être l’un des deux montons y ayant élu domicile), ou juste être une guerrière sans peur si on le fait avec des petits talons comme moi ! Avec une telle hauteur et d’épais murs d’enceinte, on imagine bien pourquoi cette forteresse est restée si longtemps imperméable à l’ennemi ! Mais comme il y a une fin à tout, aujourd’hui il n’en reste hélas plus grand chose si ce n’est des ruines magnifiques. Et comme tout le monde n’a pas le goût romantique des ruines, la visite du château se fait avec un guide de la Diana, un société archéologique qui l’étudie et restaure depuis le début des années 90, et c’est un parcours très instructif qui permet de mieux comprendre les enjeux de l’architecture seigneuriale.
De loin le monument le plus célèbre du Forez, la Bâtie d’Urfé est un bijou de la Renaissance, celui de Claude d’Urfé, aristocrate érudit qui fut un grand favori -mais pas à la façon d’Henri III- de François Ier auprès duquel il combattit durant la campagne d’Italie, et d’où il du certainement ramener le fort engouement pour les beautés affectés de l’architecture italienne qu’il développa ici à Urfé, mais aussi quelques artistes, puisque cette demeure est l’œuvre de savants artisans italiens ! Grand mécène, humaniste et féru de littérature, Claude d’Urfé su transmettre cette passion à son petit-fils Honoré, qui figure au panthéon de la littérature française avec l’Astrée, roman fleuve de près de cinq mille pages narrant les amours et aventures oniriques de la belle Astrée et du berger Céladon, l’intrigue se passant comme nous l’avons vu dans le paysage bucolique du Forez, mais aussi au sein même de la Bâtie et de son jardin, qui abrite encore aujourd’hui la fontaine « de la vérité d’amour » qui dans les dernières pages voit les amants se reconnaître et se retrouver. Forte de cette histoire, la Bâtie d’Urfé appartient de nos jours au label Maison des Illustres, et son parcours offre un voyage dépaysant à travers la Renaissance de François Ier.
Le château de la Bâtie d’Urfé est la seule demeure française à posséder une grotte de coquillages datant de la Renaissance,ce qui en fait une œuvre unique en son genre, car bien antérieure à de célèbres constructions de style rocaille comme la grotte -aujourd’hui disparue- de Thétis à Versailles, qui abrita les amours adultères du Roi Soleil. Cette pièce exceptionnelle faisait à l’époque office d’antichambre à une chapelle qui fut autrefois célébrée comme la plus belle du monde, on y passait d’abord pour s’y rafraichir et se purifier, avant de franchir les portes du monde sacré. En 2008, la grotte de la Bâtie d’Urfé à été entièrement restaurée par des artistes venus d’Italie qui, avec passion et minutie, lui ont rendu sa véritable splendeur. On peut y lire toutes sortes d’influences héritées du syncrétisme fort à la mode sous la Renaissance, tissant alors un lien puissant entre le monde païen et et le monde chrétien : symboles ésotériques, messages humanistes, formes antiques et goût pour les grotesques, grâce à la redécouverte à Rome de la Domus Area de Néron.
Malgré sa position majeure dans l’histoire de l’architecture et de la littérature française, la Bâtie d’Urfé est une grande rescapée, car elle fut tristement abandonnée à la fin du XIXème siècle,et ainsi soumise à la ruine, jusqu’à son rachat en 1909 par la Diana, la société historique et archéologique du Forez qui s’attache également à la restauration du château de Couzan. Aujourd’hui, la Bâtie d’Urfé fait figure de miraculée, et cela est particulièrement frappant lorsque l’on découvre dans ses salles d’exposition les photographies de « l’avant », qui témoignent d’un demeure en véritable péril, mangée par les herbes et à demi-décrépite, où le sphinx emblématique commandité par Honoré d’Urfé se mourrait sous les lichens. Quand aux feuilles de vigne dorées qui parsemaient les grilles de la cour d’honneur, elles avaient tout simplement été volées !
Ainsi, on ne peut que s’attrister de ne pouvoir contempler la célèbre chapelle dans sa splendeur originelle, car les vitraux sont en collection particulière, le carreaux du sol un peu partout, les marqueteries au Metropolitan Museum de New-York, et les faïences de l’autel au Louvre, soit dans les collections de deux des plus grands musées du monde, c’est dire le niveau de cet ensemble ! D’ailleurs j’ai plusieurs fois eu l’occasion d’aller admirer ces chefs-d’œuvres d’art décoratif de mes propres yeux, et cela sans connaitre l’histoire de la Bâtie d’Urfé, c’est bien dommage mais la chose est depuis réparée. Il est donc encore plus frustrant de ne pouvoir réunir ces éléments…Néanmoins, j’ai pu me consoler de ce chagrin grâce au splendide plafond à caissons qui a de quoi faire pâlir les fastes du Palazzo Vecchio à Florence, avec ses stucs richement ouvragés et ses guirlandes de fruits et fleurs tressés, dans un goût typiquement florentin. Survivent également les peintures de Gerolamo Siciolante, ainsi que les bas-reliefs du maître-autel, d’une grande finesse.
Aucun doute, la Bâtie d’Urfé est un lieu incontournable.
Troisième étape de la journée au château de Saint-Marcel-de-félines, déciment, comme cette région est riche en patrimoine ! Vous avez compris le schéma : ancienne maison-forte du XIème siècle (qui appartenait d’ailleurs aux Talaru !), ce domaine fut remanié au XVIème siècle dans le but de correspondre au…goût italien bien sûr ! Je blague mais en réalité, on ne s’en lasse pas, et ce château restera comme l’une de mes visites favorites pour ce séjour, tant par l’élégante symétrie de ses jardins que par la magnificence de ses intérieurs.
Une séance photo improvisée dans les massifs de Buis, peut-être en Astrée d’un jour ?
Hormis celui de la Bâtie d’Urfé, les intérieurs que nous avions visité jusque là m’avaient laissé, je dois l’avouer, parfois quelque peu sur ma faim, car je suis une avide de stucs et de fines gypseries, mais la chose fut entièrement réparée à Saint-Marcel-des-Félines : quelle merveille ! Ici l’œil ne serait se reposer, tant il y est sans cesse sollicité : là, poutres et panneaux peints du XVIème siècle font défiler guirlandes et encorbellements; ailleurs, paysages historiques et natures mortes se succèdent en file indienne, et quand au cabinet qui clôture cette éclatante succession de pièces ouvragées, il a pour étonnante particularité de présenter une galerie de portraits des maîtresses de Louis XIV, tout pour me séduire en somme !
Un petit détour par le château de Saint-Priest-de-la-Roche, que nous n’avons pas visité mais dont nous avons néanmoins admiré l’insolite situation géographique, ce qui ne manque pas de lui assurer une certaine photogénie ! Bien que l’origine de sa construction remonte au XIIIème siècle, cette demeure n’est pas des plus authentiques en réalité car elle fut quasiment reconstruite et restaurée dans le style néo-gothique par un riche industriel qui en fit l’acquisition dans les années 1900. Elle reste malgré tout exceptionnelle !
Et pour terminer en beauté la journée, diner et nuitée au Château Sugny, ancienne maison forte du XIVème siècle remaniée en coquette demeure au XVIIIème siècle, et transformée par leur couple de propriétaire en une chambre d’hôtes des plus accueillantes, autant pour sa décoration racé que pour la sympathie de ses hôtes, ainsi que de leurs talents culinaires ! On s’y serait presque senti en villégiature chez des amis…Marie-Noëlle, la propriétaire, est un passionnée de décoration intérieure, aussi l’aménagement est-il pensé jusque dans les moindres détails, dans un style sachant tirer le meilleur parti de la luminosité de ces grandes et hautes pièces dont le soleil vient abondement lécher les accents colorés. Ici, chaque chambre est différente et propose un univers unique, mais toutes sont décorées avec panache. Un seul point négatif dans cette maison d’hôtes : il est difficile de la quitter !
Autre exemple de transition entre le Moyen-Âge et la Renaissance, le château de Chalain D’Uzore, qui appartint lui aussi à la grande famille du Forez, les Damas de Couzan. Il s’agit d’une ancienne forteresse réaménagée en demeure d’apparat, et dont on peut toujours visiter la chapelle, ainsi que la cour intérieure et la grande galerie -la « Camera Magna »-, qui toutes deux directement tributaires de la grande vogue de l’aménagement à l’italienne qui transforma durablement l’architecture française au début du XVIème siècle. A Chalain d’Uzore, les motifs de chevrons se mêlent aux chapiteaux corinthiens, et la puissance monolithe des volumes gothiques se fait aérienne au contact de la finesse italienne, c’est un ensemble très réussi, et les fans de Game of Thrones apprécieront l’énorme cheminée monolithe qui trône en majesté dans cette Cmera Magna de deux cents mètres carré : ambiance garantie ! A l’extérieur, les jardins en terrasse, agrémentés de fontaines et de parterres à la française, sont absolument superbes, et d’ailleurs sans la perspective du Forez à l’horizon, on se serait cru à Tivoli.
Dernière odyssée épicurienne avant de reprendre le train, au très élégant restaurant étoilé du Château Blanchard, un hôtel restaurant dont l’histoire s’inscrit résolument dans celle Chazelles-sur-Lyon, puisqu’il fut autrefois la demeure d’une famille de chapeliers, activité qui fit jusqu’à la première moitié du XXème siècle la renommée de cette ville spécialisée dans la production de chapeaux en feutre poil, matière d’ailleurs toujours considérée comme la plus noble ! J’ai pu enfin y déguster la célèbre fourme de Montbrison dont le nom avait émaillé bien des conversations depuis notre arrivée, à tel point que la hype semblait presque difficile à soutenir, et pourtant cette pâte persillée s’est en effet avérée être un véritable délice !
Sur ces entrefaites -ou plutôt, entremets- je vous laisse en espérant que cet article vous aura donné envie de visiter la région !
***
Pour plus d’informations : https://www.loiretourisme.com/fr/home