Une journée à Vaux-le-Vicomte

11 novembre 2016

Art | History | Looks | Musées | Paris

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Pictures by Pauline Darley

Un immense merci au château de Vaux-le-Vicomte pour leur accueil des plus chaleureux…

Comment y accéder.

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« De feuillages touffus la scène était parée; et de cent flambeaux éclairée; le ciel fut jaloux. Enfin, figure-toi que lorsqu’on eut tiré les toiles, tout combattit à Vaux pour le plaisir du roi: la musique, les eaux, les lustres, les étoiles ». (Jean de la Fontaine, Songe de Vaux)

L’histoire est bien connue. Un soir d’août 1661, un gentilhomme donne pour la cour un fête somptueuse dans son luxueux château tout juste achevé. Partout le luxe, la magnificence, l’élégance. Et pourtant, « à 6 heures du soir (…) il était le Roi de France; à deux heures du matin il n’était plus rien » (Voltaire). Cela se passe à Vaux-le-Vicomte, et l’infortuné héros en est Nicolas Fouquet. Mais je ne suis pas là aujourd’hui pour vous expliquer le pourquoi du comment de cette illustre chute, dont les causes réelles sont plus à chercher du coté de l’ambitieux Colbert et, pourquoi pas, dans les jupes de Mademoiselle de Lavallière à qui cet étincelant dandy avant l’heure fit des avances fort mal reçues par sa majesté le roi de France. Ce dont j’ai envie de vous parler, c’est de la marque indélébile laissée par cet esthète, patron des arts et des lettres, sur le goût de son époque. Une influence des plus directes puisque son plus illustre imitateur se nomme Louis XIV. Coupable de son excès d’auto-suffisance, Fouquet reste pour l’histoire prisonnier de sa légende, celle du rival flamboyant du Soleil courroucé, et l’autre, plus occulte, du masque de fer immortalisé par Alexandre Dumas. Pourtant, au-delà d’un personnage résumé en quelques faits dans les manuels scolaires, Fouquet est avant tout un extraordinaire mécène de son temps, un visionnaire au goût audacieux.

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Faisant office de lien entre l’architecture du passé avec ses clins d’œils médiévaux et de celle du futur incarnée par la disposition des salons en enfilade d’une part et d’autre du salon ovale, Vaux-le-Vicomte est construction véritablement charnière dans cette architecture française du XVIIème qui bientôt dominera le goût. Si aujourd’hui la sainte trinité du Grand Siècle incarnée par Le Nôtre, Le Vau et Le Brun (que Fouquet eut l’initiative d’associer) nous est des plus familières, il faut savoir que bien que reconnus ces artistes n’étaient alors pas encore au fait de leur gloire, comme ce sera plus tard le cas lorsque Louis XIV -de toute évidence en panne d’inspiration- les engagea pour faire du Château de Versailles le miroir de sa gloire.

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Le salon ovale, qui devait accueillir une voûte peinte par Le Brun mais qui ne fut malheureusement jamais réalisée.

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A droite, les appartements du roi, à gauche, ceux de Fouquet, et dans chaque salle d’apparat, une rare richesse de panneaux peints, surplombés par de magnifiques plafonds peints par LeBrun, où la tradition italienne se mêle à l’innovation française. Les références à la mythologie sont multiples, et annoncent le décor architectural de Versailles dont Vaux-le-Vicomte incarne le modèle. Partout des tapisseries aussi immenses que précieuses, des meubles de Boulle, et autres lustres et brocards… Le décor intérieur aux accents ostentatoires file la métaphore de cette puissance et célèbre sans fard la mégalomanie de cet homme qui se voulut démiurge. Ainsi, comment ne pas penser à la devise du clan Fouquet « Jusqu’où ne montera-il pas » dont les mauvaises langues rapportèrent qu’il la fit changer en « Jusqu’où ne monterais-je pas ?. D’ailleurs, Fouquet se fait représenter par Le Brun en Hercule dans ses appartements d’apparat, dominant son œuvre tel un maître. Égocentrisme quand tu nous tiens…

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« Pour célébrer Fouquet, Le Brun fit appel aux ressources de la mythologie et utilisa jusqu’à l’abus l’allégorie. L’une et l’autre étaient alors fort à la mode dans les palais et les châteaux, les dieux et les déesses occupaient la place réservée dans les églises aux saints et aux saintes » (Jean Cordey, Vaux-le-Vicomte)

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La chambre de Louis XIV, où il n’a jamais couché mais s’y est juste assoupi.

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La salle à manger et ses panneaux somptueusement décorés. Il s’agit du premier exemple de salle entièrement dédiée au repas dans un château.

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A l’étage, les appartements privés, plus chaleureux mais non moins richement décorés.

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Extraordinaire travail de marqueterie sur ce cabinet !

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Grand coup de cœur pour cette chambre aux murs tendus de roses, qui me rappelle en plus intimiste la chambre de Marie-Antoinette à Versailles. Cet aménagement intérieur doit sans doute dater du XIXème, lorsque Alfred Sommier prit en main la reconstitution du château. Il faut savoir que jusqu’en 1875, le domaine de Vaux le Vicomte était laissé à l’abandon après qu’un terrible drame ait poussé la famille De Praslin a en abandonner l’usufruit, c’est alors qu’il fut racheté par le riche industriel Alfred Sommier, dont les arrières petits-enfants poursuivent encore de nos jours le travail de restauration qu’il entreprît avec fougue. J’ai d’ailleurs eu la chance d’être accueillie sur place par l’un de ses descendants, Alexandre de Voguë, qui nous a raconté ses souvenirs d’enfance au sein du château qui était à l’époque habité par la famille, à jouer et faire des cache-caches dans les salons d’apparat, extraordinaire ! C’est peut-être cette tradition familiale qui fait de Vaux un château à part, témoin d’une passion qui se transmet de génération en génération sans trahir le rêve de Fouquet.

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A propos de restauration, on imagine bien les sommes monstrueuses que demande l’entretien d’un tel bijou d’architecture, qui sont d’à peu près un million par an ! Comme il s’agit d’une propriété privée, l’Etat ne subventionne que très peu ce qui est fort dommage.  Heureusement l’Association des amis de Vaux-le-Vicomte parvient à rassembler les divers dons, d’ailleurs on peut même parrainer une statue si cela intéresse quelques défenseurs du patrimoine.  Une importante restauration des plafonds la Chambre des Muses peints par Le Brun est prévue pour l’hiver 2016-2017, ainsi que sur les sculptures du jardin.

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Les cuisines et leurs cuivres rutilants, dont le célèbre Vatel avait la direction au temps de Fouquet. On peut imaginer comme la table de Vaux-le-Vicomte devait alors regorger de mets raffinés, quand on sait que ce même Vatel se donna la mort des années plus tard pour ne pas affronter l’échec d’un grand repas commandé par le prince de Condé, difficile de faire plus auto-exigeant !

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Le salon ovale ouvre directement sur le jardin, et montre ainsi le lien étroit entre l’architecture de pierre et celle de végétation qui font corps pour la première fois dans cette construction. Car à Vaux-le-Vicomte, on assiste à un moment clé dans l’histoire de l’art du Grand Siècle, celle de la naissance du jardin à la française. Pour concevoir les plans de cette étendue spectaculaire, Le Nôtre s’est inspirée des découvertes de l’époque dans le domaine de l’optique, afin de créer cet exemple de perspective ralentie dont les éléments paraissent petits au loin mais grandissent au fur et à mesure que l’on s’en rapproche. Ainsi, impossible d’apercevoir le grand canal lorsque l’on se tient à proximité du château, il faut s’avancer pour en voir les contours se dessiner, ce qui illustre parfaitement cette maxime de Le Nôtre, « l’œil créé la perspective, marcher la fait vivre ». Au sommet de cet perspective aux accents sibyllins, se dessine les contours d’un colossal Hercule Farnèse qui figure bien évidemment de personnification du génie visionnaire de Fouquet, de sa force et de son audace. Face à ce somptueux panorama, l’Hercule-Fouquet contemple depuis des siècles sa création…

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Ma partie favorite du château, les parterres de fleurs folles dessinés par Le Nôtre, dont les tons lavande et vieux rose m’ont particulièrement plu ! Une paysage des plus bucoliques qui contraste agréablement avec la géométrie qui règne dans cet exemple fondateur du jardin à la française.

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Si vous allez à Vaux-le-Vicomte, je vous conseille absolument de réserver une table au restaurant Les Charmilles, qui fait face au château, car ça a été l’une des expériences les plus magiques que j’ai pu vivre de ma vie, c’est dire…Nous avions la meilleure table, avec une vue époustouflante sur ce rêve de pierre devant nous, et ce fut un moment divin que de siroter du champagne en regardant le soleil se coucher, tandis qu’à l’horizon les bougies illuminaient petit à petit les pièces du château. D’habitude, j’ai tendance à éviter les restaurants de musées que je trouve trop chers et peu qualitatifs, mais le repas qui nous a été servi était excellent ! Il s’agit plus d’un restaurant à part entière, d’ailleurs il était plein à craquer ce soir-là (et jusqu’en fin 2016 apparemment !) ce qui prouve son aucun doute son succès ! Les jardins accueillent aussi un bar à champagne et à macarons que je n’ai pas testé, mais qui avait l’air tout à fait charmant et bucolique dans ses bosquets.

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Comment oublier cette vision splendide qui nous a été offerte ce soir-là ? Pauline et moi étions si ébahies que nous essayions de prendre des photographies mentales afin de ne jamais nous défaire de cette vue que j’eus tant de mal à quitter. Comme vous le savez, je suis une personne très visuelle et rêveuse, aussi suis-je béate d’admiration lorsque les hasards de l’existence me font témoigner d’une rencontre entre l’imaginaire et la réalité, ainsi que l’a été cette délicieuse soirée. Cela m’attriste toujours lorsque je visite un endroit chargé d’histoire sans parvenir à retrouver l’atmosphère féérique qui l’habita autrefois, faute de monde ou d’excès de consumérisme, et malheureusement cela arrive assez souvent…Mais à Vaux-le-Vicomte, j’avais sans cesse l’impression d’être revenue au temps de Fouquet, et il me suffisait d’une pincette d’imagination pour être transportée dans cette soirée mémorable du 17 août 1661…

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Cerise sur le gâteau, ma visite est tombée pile poil sur l’une des soirées aux chandelles organisées chaque samedi (de mai à septembre) par le château de Vaux-le-Vicomte, et pour lesquelles les salles et les allées sont parées de milliers de bougies ! De magique l’endroit en devient étonnamment onirique, une atmosphère teintée d’étranges lueurs et parfois de surnaturel, comme lorsque ces chevaux d’ombre et de lumière viennent danser sous nos yeux au son d’une musique hypnotique, tels des fantômes du siècle de Louis XIV. A nouveau, impossible de ne pas penser aux festivités offertes par Fouquet à la cour du Roi Soleil. C’était émouvant de voir comme cette soirée rassemblait les générations autour d’un même émerveillement, d’ailleurs ce n’est pas le seul évènement mis en place par le château puisqu’au mois de juin se tient la journée Grand Siècle dont j’admire chaque année les costumes aux riches couleurs, sans aucun doute je m’y rendrais l’année prochaine !

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Je crois que ces images se passent de mots ! Bien sûr, je pourrais tenter de vous décrire l’ambiance chargée de mystère qui émanait des salons baignés d’or et de la lumière vacillantes des flammèches, un monde d’éclat et d’obscurité étrangement chaleureux où dans les allées plongées dans le noir les bougies semblaient tracer des constellations…Mais je ne peux à la place que vous conseillez de le voir par vous même, croyez-moi, vous ne le regretterez pas…

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From Paris with Love,

Louise


13 commentaires



  1. Aurore dit :

    Cet article est vraiment passionnant! Il n’y a pas à dire, le blog et instagram, ce n’est pas le même effet. Tes photos sont très belles (il faut dire que le lieu aide), et après avoir lu l’article on n’a qu’une envie: mettre son manteau, ses chaussures, et foncer à Vaux-le-Vicomte! Merci pour ce bel article historique qui fait rêver comme tu as rêvé sur place!

    • Louise dit :

      Merci ca me fait tellement plaisir qu’on prenne le temps de me lire, c’est un très beau cadeau, d’autant plus que j’ai mis beaucoup de coeur dans cet article…Vraiment ravie et touchée qu’il t’ai plu et encore plus qu’il t’aies donnée envie d’y aller ;)

  2. Aïda dit :

    Chère Louise,
    Ce post est sublime, les photos de Pauline m’ont totalement transportées dans votre visite et la rédaction de ton post où tu mêles les anecdotes historiques, ta vison passionnante et les détails d’architecture m’ont enchantés.
    Je trouve que tu fais un travail formidable, ton blog (je n’ai même pas envie de l’appeler blog tellement c’est un bijou artistique), tu allies à merveille l’esthétique de tes tenues, à la magie d’une époque que ce soit le XIXème, les années 70, les années 30,c’est incroyable. Il me semble avoir déjà lu que tu déplorais ne pas avoir de réel talent artistique, détrompe toi! Tu as un vrai don de mise en scène,d’interprétation (la façon dont tu as d’incarner mille et un personnages dans tes photos) et une plume à la fois passionnée et érudite, et en plus tu es très belle ce qui ne gâte rien.
    Bisous

    • Louise dit :

      C’est si gentil, Aïda, merci du fond du coeur pour tous ces mots qui me vont droit à l’âme….Cela me fait plaisir car j’ai sans cesse l’impression de ne rien créer justement et de tourner en rond et parfois j’en souffre, j’en complexe….Aussi, cela ne peut que m’encourager au plus haut point de te lire, cela me donne un regain d’energie et de motivation et en ça, un immense, immense merci pour ton message….
      Mille baisers et mille mercis…

  3. Catherine dit :

    Magnifique.. Merci pour cette découverte et pour ce voyage dans le temps.

  4. Monika dit :

    Beautiful scenery!

    Love,
    http://www.thestyleventure.com

  5. Dada dit :

    just loved all the pictures! oh and the dressing table?! Simply heaven.
    Thank you for sharing.
    Love,
    Dada

  6. François dit :

    Après que + Indicatif, chère Louise, pas subjonctif ! Une coquille j’imagine :)
    Au plaisir de vous lire.

  7. Alexandrine dit :

    Je connais très bien le château de Vaux-le-vicomte, et je l’adore particulièrement en période de Noël, avec les installations spéciales faites pour l’occasion, c’est encore plus féérique !
    Les subventions c’est compliqué : je sors d’une licence pro en restauration et valorisation du patrimoine, où on voit justement comment fonctionne subventions, mécénat, etc. C’est beaucoup plus compliqué que ça : même si le château est privé, d’autres, tout aussi privés, obtiennent plus de subventions, souvent, ça dépend de comment est monté le dossier de subventions malheureusement. Effectivement, ce type de château coûte les deux bras (et même plus ^^) à entretenir et restaurer, mais je présume que l’association défiscalise un max pour rentabiliser la chose. Enfin, bref, je m’arrête là sinon je vais faire un cours ! ^^ Les photos sont vraiment très belles et rendent bien honneur à la magie du lieu ! Et c’est amusant : je connais la compagnie qui a fait le spectacle avec les chevaux ! Je l’ai vu il y deux ans au spectacle de Noël que la ville d’Arles organise chaque année. C’était tout aussi féérique qu’au Château, sauf que les chevaux étaient éclairés de bleu… Une belle journée que vous avez dû passée ! ^^ Baisers et belle journée, Alexandrine

  8. Carlotta dit :

    Je découvre la magie de Vaux le Vicomte grâce à toi. Ce n’est pas le premier lieu que tu me fais découvrir et c’est à chaque fois un immense plaisir. Merci. Je programme une visite au plus vite.

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